Projet Astrid : une arrivée après la bataille climatique ?

Abandonné par l’État en 2019, le projet Astrid, réacteur nucléaire de quatrième génération, est présenté par plusieurs candidats à l’élection présidentielle, à droite mais également à gauche, comme un élément clé de leur transition écologique. Un projet extrêmement ambitieux puisqu’une éventuelle mise en service n’interviendrait, au mieux, qu’en 2050, bien trop tardivement pour contribuer à la neutralité carbone au milieu du siècle.

Valérie Pécresse (Les Républicains), Marine Le Pen (Rassemblement national), Éric Zemmour (Reconquête !) mais aussi Fabien Roussel (Parti communiste français) et Arnaud Montebourg (L’Engagement)… Tous comptent s’appuyer sur l’énergie nucléaire, très faiblement émettrice de gaz à effet de serre, pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et mener à bien la transition écologique. Au-delà de la construction d’EPR, la troisième génération, comme celui de Flamanville (Manche), ces cinq candidats à l’élection présidentielle proposent de relancer le projet Astrid, prototype d’un réacteur de quatrième génération, arrêté par l’État après treize ans de recherche et 1,2 milliard d’euros d’investissements d’après un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Une solution très séduisante sur le papier, mais qui se heurte à un obstacle majeur : même en relançant dès maintenant ce programme, il n’entrera en fonction, au mieux, qu’en 2050, bien trop tard pour les objectifs de neutralité carbone.

Astrid, acronyme anglais pour Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, est un réacteur à neutrons rapide (RNR) dont la construction, prévue sur le site nucléaire de Marcoule (Gard), devait à l’origine se terminer le 31 décembre 2020. Basé sur la technologie de ses prédécesseurs Rapsodie (fermé en 1983), Superphénix (fermé en 1997) puis Phénix (fermé en 2010), le projet présentait un avantage majeur : utiliser l’uranium appauvri et le plutonium comme combustible. Autrement dit, il permettait de réutiliser les matières radioactives produites par les centrales actuelles, tout en réduisant fortement la quantité de nouveaux déchets. « On multiplie par cinquante les réserves uranifères et on divise par dix les déchets à longue durée de vie. C’est la technologie industrielle la plus mature pour fermer le cycle, c’est-à-dire aboutir à un recyclage complet des matières », précisait Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique de 2012 à 2018, dans une interview au magazine Le Point, en octobre 2019.

En France, le gouvernement, dans sa stratégie énergétique adoptée en 2018, a fait un sort au projet Astrid, justifiant sa décision d’abandonner le RNR par l’abondance et la disponibilité des ressources en uranium. Un avis corroboré par Bernard Laponche, physicien nucléaire et militant opposé à l’atome : « L’argument en faveur du projet Astrid réside uniquement dans la diminution des réserves mondiales d’uranium liée à un développement assez important du nucléaire au niveau mondial. Ce qui n’est pas le cas. » En effet, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’énergie nucléaire représentait 10,1 % de la production d’électricité mondiale en 2018, une proportion qui ne devrait guère évoluer dans les années futures – même si la valeur absolue sera en augmentation.

« Vers la deuxième partie du siècle »

Le président de l’ONG Global Chance pointe également un intérêt limité sur la question climatique : « C’est un réacteur nucléaire comme les autres, certes avec une émission de gaz à effet de serre relativement faible par rapport aux combustibles fossiles. » L’électricité produite par un éventuel réacteur Astrid sera néanmoins plus chère que celle produite par les EPR, déjà deux fois plus onéreuse que les centrales actuelles et évaluée à 120€/MWh par la Cour des comptes. « Il faudrait tout d’abord relancer un cycle d’études d’une dizaine d’années – en supposant que l’acquis des 70 années de recherches sur ce concept ne soit pas déjà perdu – avant de pouvoir construire une première unité sur une durée équivalente, qu’il serait ensuite nécessaire d’évaluer quelques années en fonctionnement. La durée totale de ces premières étapes serait de l’ordre d’un quart de siècle », confirme le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Tout en précisant que le déploiement d’un petit parc de réacteurs Astrid pourrait progressivement intervenir « après ce délai », c’est-à-dire, dans une hypothèse favorable, en 2050.

« La quatrième génération n’a de sens que dans la cadre d’une stratégie nucléaire de long terme », fait remarquer Thomas Gassilloud, député du Rhône (Agir), auteur du rapport. « Ces réacteurs, dits “avancés”, devraient arriver au bon moment, afin de renouveler le parc actuel de deuxième génération, en complément des EPR », veut croire Ludovic Dupin, directeur de l’information à la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), principal promoteur de l’atome en France.

La technologie fonctionne déjà en Russie, avec deux réacteurs respectivement mis en service en 1980 puis en 2015 et en Chine avec un prototype expérimental inauguré il y a une décennie. L’Inde doit prochainement démarrer un réacteur près de Chennai, tandis que les États-Unis, longtemps considérés comme à la traîne dans ce domaine, commencent à rattraper leur retard via des programmes privés comme TerraPower, financé par Bill Gates. En 2015, quatre chercheurs renommés expliquaient même que la construction annuelle de 115 centrales nucléaires de quatrième génération allait permettre de « décarboner entièrement la production mondiale d’électricité en 2050 ». Malgré les légitimes espoirs placés dans cette innovation, tout indique qu’elle ne deviendra pas un élément-clé pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à la moitié du siècle.

Arthur BIJOTAT

Image de tête : © Yelkrokoyade / Creative Commons

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