Pierre, le macroniste repenti

EN CAMPAGNE. En 2017, ce jeune professeur d’histoire-géographie a voté pour Emmanuel Macron. Mais ses propos méprisants, notamment sur les chômeurs, l’ont convaincu de se détourner de l’actuel président. Il milite depuis peu pour La France insoumise.

Cet article fait partie de la série En Campagne, disponible en suivant ce lien.

Pierre pénètre dans la salle municipale, un paquet de madeleines sous le bras, un sourire timide collé sur son visage aux traits fins. Le jeune homme à la silhouette longiligne s’assoit discrètement, en saluant l’assemblée. Il arbore la coupe classique des garçons de son âge : cheveux bruns coupés courts et barbe de trois jours. Mais, malgré ses efforts, il ne passe pas inaperçu. Et pour cause : à 26 ans, il est de loin le plus jeune du groupe. C’est seulement la troisième fois qu’il se rend aux réunions du groupe d’action La France insoumise (LFI) de Saint-Mammès, qui s’occupe de la troisième circonscription de Seine-et-Marne. 

Son arrivée dans le groupe, au début du mois de janvier, a été un petit évènement. Jean-Marc et David, deux des plus anciens, aiment raconter qu’ils comptent maintenant « un jeune qui avait voté Macron en 2017 » parmi leurs membres. C’est vrai, Pierre a annoncé la couleur dès le départ. Avant, ce jeune prof d’histoire-géographie était un « modéré », comme il se qualifie lui-même, partisan du candidat de La République en marche. « Je pensais qu’il fallait toujours prendre le meilleur de la droite et de la gauche mais je me suis rendu compte que c’était hypocrite », confiera-t-il plus tard.

La route qui borde le Loing, à côté de l’appartement de Pierre, à Saint-Mammès. (© Sarah DUMEAU / EDJ Sciences Po)

C’est son père, un ancien militaire reconverti dans l’aide aux demandeurs d’asile, qui l’a fait changer d’avis. Chez Pierre, on vote en famille : depuis des années, sa mère et ses cinq frères et sœurs étaient centristes. « Aujourd’hui, je pense qu’ils voteront Mélenchon », assure-t-il. Le jeune prof a reçu une éducation catholique. « Mais maintenant, on ne croit plus ». Les missions du père en Afghanistan ont ébranlé leur foi, confie Pierre, sans rentrer dans les détails. Les quelques mois qu’il a passé au Liban, enfant, pour suivre son père en mission l’ont aussi « profondément marqué ». Depuis, son père a quitté l’armée. Entre autres parce que la famille en avait assez des déménagements successifs.

Un néo-seine-et-marnais

Un jeune qui s’implique dans la politique de la troisième circonscription de Seine-et-Marne, une zone semi-rurale, située au sud de la forêt de Fontainebleau, ce n’est pas si courant. « Ça fait plaisir de voir de la jeunesse », se réjouit Roger Le Bloas, adjoint à la mairie de Saint-Mammès et membre du groupe. Pierre a été muté ici pour son premier poste de professeur titulaire, il y a un an et demi. Ce n’était pas un choix : « Je voulais tout sauf Paris et la région parisienne », admet-il. Ce « campagnard », comme il se définit lui-même, y trouve quand même des avantages, notamment la proximité avec la Nationale 7 qui lui permet de rendre régulièrement visite à ses parents.

Pierre et Roger Le Bloas, à la réunion du groupe LFI de Saint-Mammès, le 9 février. (© Sarah DUMEAU / EDJ Sciences Po)

Même s’il a beaucoup bougé pendant son enfance, Pierre est très attaché au village de sa famille maternelle, où ses parents sont revenus habiter, près de Saint-Etienne. Il a d’ailleurs pris l’accent du coin, une façon de détacher un peu les syllabes en parlant. Et il continue d’y aller à chaque élection pour voter : « Comme disaient les Athéniens, je vote dans mon dème [circonscription administrative utilisée pendant la Grèce antique] ». Ce passionné de philosophie politique aime ponctuer ses phrases de références historiques. « À l’école, j’étais un intello. Je le suis toujours d’ailleurs », assume-t-il. Depuis qu’il a intégré le groupe militant, il s’est mis à lire Jean Jaurès et le Manifeste du Parti communiste.

Une terre de mission

« Avec le réchauffement climatique, la présidentielle, on entend que tout est perdu, qu’il n’y a rien à faire… On se croirait à la fin de l’Empire romain ! Ce défaitisme, c’est déprimant », explique-t-il. C’est ce qui l’a poussé à s’engager pour La France insoumise, « un parti qui se bouge ». En effet, ils sont presque les seuls militants à agir au grand jour sur ce territoire, pourtant quasiment acquis à la droite depuis les années 1990, à quelques exceptions près. « Souvent, quand on fait du collage [d’affiches], on se recouvre nous-même parce que les affiches sont abîmées, ou alors on est recouvert par un cirque », indique David Brunet, le co-animateur du mouvement.

Jean-Luc Mélenchon se partage le « transfo » avec le grand cirque. (© Sarah DUMEAU / EDJ Sciences Po)

Pierre a été marqué par l’expérience de son premier collage. Avec Monique et Bernard, deux militants aguerris, ils se sont rendus à la gare de Montereau – Pierre milite là-bas, même s’il vit à Saint-Mammès, pour éviter de croiser ses élèves. « On a collé des affiches partout ! s’écrie-il avec ses yeux bleus qui s’illuminent. Il y en a sur tous les lampadaires : les gens vont forcément les voir en allant prendre leur train ! ». En plus, « on a fait ça en plein jour, on n’a pas eu peur », glisse-t-il, avec l’air exalté de celui qui vient de transgresser les règles.

Cohérent avec lui-même

Même s’il reconnait que Mélenchon peut avoir « un sale caractère », Pierre l’apprécie car « il est cohérent avec ce qu’il est ». Les notions d’État et de service public défendues par son champion lui parlent aussi. Ce jeune prof a fait une partie de sa scolarité dans un lycée privé de Haute-Savoie, fréquenté par des enfants de familles très aisées. Même s’il reconnaît que son père avait « un bon boulot » et qu’il a hérité d’un capital culturel élevé, il ne se sentait pas à sa place là-bas. Il enseigne à présent dans un collège public, un choix qu’il revendique : « Je ne veux pas que mes élèves soient des clients ». 

Pierre dans la cuisine de son appartement de Saint-Mammès, le 16 février. (© Sarah DUMEAU / EDJ Sciences Po)

Au collège, d’ailleurs, ce n’est pas toujours évident pour le jeune titulaire de cacher ses opinions politiques. « On est soumis au devoir de réserve, explique-t-il, pédagogue. Mais c’est dur quand on enseigne des matières aussi politiques que l’histoire, la géographie, l’éducation civique ». En plus, ses élèves aiment bien en parler et faire des vannes sur Éric Zemmour : « Monsieur, est-ce qu’on va devoir changer de prénom ? ». Le collège étant situé à Champagne-sur-Seine, sur la rive « pauvre » de la Seine, la majorité des élèves sont issus des classes moyennes et populaires. « Je pense qu’ils ont compris que je n’étais pas de droite », admet-il quand même, au détour de la conversation. 

Ces deux dernières semaines, son champion commence à incarner de plus en plus sérieusement le vote utile à gauche. De quoi donner aux militants un regain d’espoir, à peine deux mois avant l’échéance. Mais Pierre garde la tête froide : « Avoir un programme sérieux c’est une chose, convaincre et gagner la bataille culturelle, c’est autre chose. Rien n’est joué et bien malin est celui qui peut dire ce qui va arriver ».

Sarah Dumeau 

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