EN CAMPAGNE. Dans « Les profs avec Zemmour », l’on trouve des enseignants d’extrême-droite depuis longtemps et des anciens de la gauche républicaine et laïque. Que certains déçus du macronisme, enclins à se droitiser davantage selon le chercheur en sciences politiques Luc Rouban, pourraient rejoindre. Est-ce la fin de la figure du prof de gauche ?
Cet article fait partie de la série En Campagne, disponible en suivant ce lien.
Longtemps, Romain Baptiste a fait figure d’exception dans la salle des profs. « D’extrême-droite depuis toujours », explique-t-il à l’École de journalisme de Sciences Po, il avait même été qualifié de « nazi » par une collègue bien plus à gauche que lui sur l’échiquier politique. Il faut dire qu’au sein de l’Éducation nationale, on vote plutôt à gauche. Et malgré un virage vers le centre et la droite pendant le quinquennat de François Hollande (2012 – 2017), l’attachement des quelques 870 000 enseignants français aux valeurs sociales et d’ouverture semblait bien ancré.

« Nous sommes nombreux dans ‘Les Profs avec Zemmour’ à venir de la gauche », affirme pourtant Martial Bonnet, cofondateur avec Romain Baptiste du mouvement qui rassemble 17 900 abonnés sur Twitter. « Une gauche républicaine, laïque, attachée à l’école », précise-t-il. À la source de ce virage à droite toute, « l’état de nos établissements, la dégradation du niveau scolaire et des conditions du métier de professeur ». S’agit-il d’une tendance de fond qui pourrait changer la physionomie du vote enseignant ou le fait de quelques « laïcards » qui excellent à se rendre visible ? Difficile à dire.
Les enseignants, électorat déçu d’Emmanuel Macron
Jamais lors des cinq dernières élections l’extrême droite n’a dépassé les 5 % d’intentions de vote chez les enseignants, souligne un sondage Ifop de 2017. Les enseignants sont moins nombreux que la moyenne des Français à voter pour un candidat de droite ou d’extrême droite. En revanche, le même sondage montre l’attachement du vote enseignant au PS et au centre – d’abord représenté par le Modem entre 2002 et 2012, puis par LREM en 2017.

Mais les choses pourraient bien changer en 2022. Car si les enseignants ont massivement voté pour Emmanuel Macron en 2017, ce sont aussi ceux chez qui le président « perd du terrain », affirme Luc Rouban, chercheur au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po). « Les enseignants ont été confrontés aux conséquences des confinements et des politiques de sécurité sanitaire, ne pouvant plus exercer leurs métiers dans des conditions normales », avance le politologue dans une note de recherche intitulée « Les fonctionnaires face à l’élection présidentielle ».
Ajoutons que les enseignants ont été ballottés par les protocoles sanitaires (dont le dernier envoyé du jour pour le lendemain depuis Ibiza) visant à maintenir « l’école ouverte ». Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports (et auteur d’un livre éponyme publié chez Gallimard à la rentrée 2021), a également été décrié pour avoir distribué des autotests périmés et des masques en tissu très léger au plus fort de la crise.
Vers une droitisation des enseignants ?
L’étude de Luc Rouban ne surprend donc guère en affirmant la chose suivante : si Emmanuel Macron avait recueilli un tiers des intentions de vote chez les enseignants en 2017, il n’en récolterait que 21 % en 2021. Et ces déçus du macronisme vont se répartir sur les forces politiques existantes.
Selon Luc Rouban, près de 40 % de ces mécontents devraient se reporter sur la gauche, du PCF au PS en passant par LFI et EELV. Mais « 19 % se sentent proches de la droite et 10 % du RN, en légère hausse de 2 % par rapport à 2017 », relève Luc Rouban. D’une candidature sérieuse du candidat condamné trois fois pour incitation à la haine raciale, il n’était pas encore question en avril 2021, au moment de la publication de sa note de recherche. Le chercheur du Cevipof s’est remis à l’ouvrage, et une prochaine étude devrait bientôt être publiée.
Louise Courtois
Image de tête : © Jérémy Barande / Creative Commons