FRACTURES. Alors que les chiffres des naturalisations baissent depuis 2010, les candidats de droite veulent durcir leurs critères d’accès et réclament aux postulants une meilleure « assimilation » à la culture française, pour ne pas faire des « Français de papier ».
Cet article fait partie de la série Fractures, disponible en suivant ce lien
« Je veux faire des Français de cœur, et pas seulement des Français de papiers ». Le 13 février dernier, au Zénith de Paris devant 7 000 personnes pour le premier grand meeting de sa campagne présidentielle, Valérie Pécresse a surpris jusque dans son propre camp en reprenant ce refrain venu de l’entre-deux guerres et relancé par l’extrême-droite identitaire dans les années 80. L’expression « Français de papiers », proche de la thèse du « grand remplacement », également citée par la candidate LR au début de sa prise de parole, fait la distinction entre Français dits « de souche » et citoyens naturalisés.
Depuis, Valérie Pécresse est certes revenue sur une partie de son discours. Mais l’épisode du Zénith est symptomatique d’une campagne où les idées de droite radicale sont très populaires, et au cours de laquelle, Éric Zemmour (Reconquête), Marine Le Pen (RN) et Valérie Pécresse (LR), ont annoncé vouloir durcir les critères d’obtention de la nationalité française pour « faire des Français de cœur », mieux assimilés à la communauté française.
Outre le droit du sol, très contesté par l’extrême droite, la naturalisation – le mode d’acquisition de la nationalité par décret et sous certaines conditions (avoir 18 ans, résider en France depuis 5 ans, être de bonnes vie et mœurs, assimilation, connaissance de la langue…), – est notamment dans le viseur.
Deux fois moins de naturalisations aujourd’hui qu’en 2010
Depuis 2011 et la loi Guéant, les chiffres sont pourtant clairs : le nombre de naturalisations accordées est déjà en forte baisse, passant de 95 000 en 2010 à une moyenne de 50 000 sur le quinquennat d’Emmanuel Macron. D’après Gilles Ivaldi, chercheur au CEVIPOF, la courbe de ces chiffres pourrait suivre deux logiques : « le rythme des quinquennats avec une gauche toujours plus libérale, mais aussi la logique socio-économique, conjoncturelle. Dans un contexte économique difficile, on durcit l’accès à la nationalité aux immigrés. »
Christophe Bertossi, sociologue des migrations, intervient : « c’est un sujet politique sur lequel on joue en fonction du contexte et de l’agenda électoral et qui a très peu à voir avec le nombre de naturalisations accordées ».

Les réformes sur le droit de la nationalité effectuées (1993, 1998, 2003, 2006, 2011) ont ainsi corsé l’accès à la naturalisation. Poussée par les premiers succès électoraux du Front National, c’est la droite parlementaire qui a mené ces réformes. Aujourd’hui, les candidats d’extrême droite veulent aller plus loin : Éric Zemmour (Reconquête) veut « augmenter la durée minimale de résidence de 5 à 10 ans, en exigeant une maîtrise parfaite de la langue, une assimilation réelle et vérifiable ainsi qu’une absence totale de condamnation judiciaire ». Dans son programme, Marine Le Pen (RN) évoque seulement des « critères de mérite et d’assimilation ».
Gilles Ivaldi, spécialiste de l’extrême droite et des populismes évoque une distinction entre les deux candidats : « Zemmour c’est le rejet massif de l’immigration non européenne. L’étranger reste toujours un peu étranger, c’est irréductible et il y a un rejet quasi intégral de l’immigration, contrairement au RN. En 2007, Marine Le Pen a évolué en imposant un agenda plus républicain. Les immigrés peuvent s’intégrer avec deux critères : le respect des valeurs républicaines, notamment de la laïcité et la notion d’efforts et de bonne conduite. »
Valérie Pécresse (LR), elle, accordera la nationalité « à la preuve par le demandeur de son assimilation notamment par la maîtrise de la langue, le respect des valeurs de la République et l’absence de casier judiciaire. »
« Leurs critères sont subjectifs, les nôtres sont objectifs », Mickael Idrac (LFI)
Mickael Idrac (LFI) sociologue des migrations, a participé à l’élaboration du programme de Jean-Luc Mélenchon, qui vante les mérites d’une politique migratoire « humaniste et réaliste » : « leurs critères sont subjectifs, les nôtres sont objectifs. Nous on ne parlera pas d’assimilation mais d’inclusion. S’inclure dans la société française, c’est faire l’effort de vivre en France, de vivre dans le respect du voisin de palier et de sa ville, c’est faire des études, élever ses enfants, trouver un travail… »
Si pendant son quinquennat, Emmanuel Macron a accordé plus de titres de séjours – première étape vers la naturalisation -, à des immigrés non européens que ses prédécesseurs, il veut aujourd’hui en compliquer l’accès. À l’inverse, Jean-Luc Mélenchon (LFI) souhaite « régulariser les travailleurs, étudiants, parents d’enfants scolarisés et instituer la carte de séjour de dix ans comme titre de séjour de référence. » Mickael Idrac (LFI), l’assure : « la régularisation c’est une première étape, mais à l’avenir, on peut dire qu’on naturalisera davantage. Il poursuit : « On déplore ce cirque médiatique qu’on doit à Zemmour et Le Pen, mais on essaie de faire comprendre qu’il ne faut pas se laisser berner sur la crise migratoire. Mais le racisme c’est plus facile à comprendre que l’économie, l’écologie etc, alors ils en font leur sujet. »
Yannick Jadot (EELV) et Anne Hidalgo (PS) veulent aussi plus régulariser avec une politique d’immigration plus « humaine », mais « cohérente » (Hidalgo) et « maîtrisée » (Jadot). Mais dans cette campagne présidentielle, la gauche est presque absente du débat. Pour Gilles Ivaldi, « porter un discours de gauche aujourd’hui, dans lequel on augmente les naturalisations, c’est très compliqué, l’espace politique est très réduit. »
66% des Français trouvent que « les immigrés ne font pas d’effort pour s’intégrer en France »
Mais Christophe Bertossi s’inquiète : « tout ce qui était il y a 40 ans le monopole de l’extrême droite, ne l’est plus du tout. Aujourd’hui, dès qu’on sort de la gauche de la gauche, on rentre dans une lecture qui est très culturalisée, racialisée des rapports sociaux. L’acceptation de ce récit va même jusqu’à une partie de la gauche sociale démocrate. » Le chercheur fait notamment référence au gouvernement Valls et à la proposition d’inscrire la déchéance de nationalité dans la constitution à la suite des attentats de 2015.
Depuis quelques années, les Français semblent approuver la tendance au durcissement des accès. En 2013, alors que Manuel Valls voulait revenir à un rythme annuel de 100 000 naturalisations par an, un sondage IFOP pour Valeurs Actuelles indiquait que 63% des Français estimaient que c’était une « mauvaise chose pour notre pays ». Le sociologue Christophe Bertossi, spécialiste des migrations, décrypte : « On met en récit l’immigration et la place des “immigrés” comme une question d’identité, de distance culturelle. Mais cela est tout à fait contradictoire avec le fait que ces “immigrés” sont français depuis longtemps, qu’ils sont des citoyens qui s’identifient à la France, qui travaillent, participent aux institutions comme les autres Français. » En 2019, d’après l’étude Fractures Française publiée par IPSOS, 66% des Français étaient d’accord avec cette affirmation : « De manière générale, les immigrés ne font pas d’effort pour s’intégrer en France ». Un record pour l’étude publiée chaque année et dont le chiffre s’est stabilisé à 57% en 2020 et 2021. « Ces discours politiques forts dus à la mise en récit, ont fait des dégâts », résume Christophe Bertossi.
La colère monte dans les rangs associatifs
Dans les rangs associatifs, la colère monte sur les critères. Yves Coleman, de RESF Paris 18e, une association qui aide les étrangers dans leurs démarches administratives, réclame plus de clarté de la part des candidats : « Je suis pour que les critères aient une base matérielle réelle, or Français de papier, Français de cœur, c’est de l’idéologie. C’est quoi le thermomètre ? » Aujourd’hui, lorsque toutes les conditions sont réunies pour le postulant, un entretien de motivation, de vérification d’assimilation et de connaissances sur la France est mené par un agent de police de la préfecture. Contactés, des citoyens tout juste naturalisés racontent qu’il leur a été demandé de citer le nom de plusieurs acteurs du cinéma français, de monuments ou encore de personnages historiques. Un livret existe pour préparer cet examen oral, mais Yves Coleman, « trouve insupportable qu’on n’explique pas les règles du jeu. »
En 2012, dans une publication intitulée, le dossier noir des naturalisations, le groupe de soutien aux immigrés Gisti, critiquait notamment les « motifs de refus ou d’ajournement contestables ou fallacieux » sous l’ère Sarkozy, qui avait entrepris de « maîtriser » l’accès à la nationalité française. Dix ans plus tard, Violaine Carrere, de Gisti, relance le débat : « les concepts sont flous, non définis. On observe avec les statistiques qu’il y a des nationalités qui ont plus de chances d’être naturalisées. Ça montre qu’il vaut mieux ne pas être trop noir, trop musulman. Les naturalisations, c’est pas factuel. »
Gisti regrette aussi le durcissement du niveau de langue requis, et l’avait exprimé le 13 janvier 2020, dans une lettre ouverte au premier ministre signée par différents acteurs associatifs. Le gouvernement Macron venait alors de réhausser au niveau B1 tant oral qu’écrit, le niveau de Français exigé pour les personnes souhaitant se faire naturaliser. « Quand on sait qu’il y a des Français illettrés, c’est problématique de demander un tel niveau de Français et d’en faire une condition pour la nationalité. Surtout pour des personnes qui n’ont pas forcément pu apprendre à écrire ou aller à l’école, souffle Violaine Carrere. À Gisti, on voit ça comme un barrage, l’important c’est que la personne ait ses intérêts et ses attaches en France. »
Dans leurs programmes, Anne Hidalgo et Yannick Jadot prévoient la mise en place de cours de français gratuits. C’est le type de mesure attendue par Yves Coleman : « Pour s’intégrer, il faut savoir parler, lire et écrire. Il faut leur donner la possibilité d’apprendre la langue. Nous on les accompagne, c’est du bricolage, mais c’est l’État français qui devrait le faire. Sans ça, ça ne sert à rien de discuter d’assimilation ».
« Le chemin de la naturalisation est semé d’embûches », Défenseur des droits
Autre sujet de tension dans les associations, le difficile accès aux rendez-vous en préfecture, qui finit par dissuader des étrangers à demander la naturalisation. La numérisation récente des services publics aurait aggravé le problème : « Aujourd’hui, il faut payer des agences privées qui réservent des créneaux pour les étrangers, s’agace Yves Coleman, engagé dans les associations depuis 30 ans. Sur le site des préfectures, c’est très compliqué d’en obtenir. Être français, c’est respecter les lois de la république et la première personne qui ne les respecte pas, c’est l’État ».
Dans un long rapport publié en février 2022, la Défenseure des droits a évoqué « des problèmes internes aux administrations concernées ou de mise en place de plateformes numériques » ainsi que des « carences qui se retrouvent également au stade de l’instruction des dossiers et sur l’état d’avancement des dossiers ». En plus du durcissement des critères d’accès, ces différents éléments peuvent expliquer la baisse des naturalisations ces dernières années.
Malgré les obstacles supplémentaires et la baisse des naturalisations depuis 2010, la droite continue à en faire un refrain. «C’est une représentation. L’extrême droite laboure un terrain qui fonctionne, par rapport à le perception d’une France multiculturelle et à la place de l’Islam quand bien même c’est déconnecté de la réalité », soutient Gilles Ivaldi. Alors que ces idées n’ont jamais autant pesé dans cette campagne, Valérie Pécresse a été tentée de s’en approcher au Zénith. Au risque de déclencher la fronde républicaine, et le début d’une longue chute dans les sondages.
Nicolas JAMBOU
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