FRACTURES. Contre toute attente, le contenu de nos assiettes s’est invité dans le débat de la campagne présidentielle. Un sujet amené par le candidat communiste Fabien Roussel et qui se révèle très politique, lui permettant alors de se distinguer des autres candidats de gauche. Vrai clivage ou simple mise en scène ?
Cet article fait partie de la série Fractures, disponible en suivant ce lien
« Il se donne un mal de chien pour creuser des différences entre lui et moi – nous voilà parti sur la viande et les frites ». Pour Jean-Luc Mélenchon, la candidature de Fabien Roussel à la course à l’Elysée cette année, après deux campagnes présidentielles en soutien au leader de la France insoumise, est déplorable. « Nous avons 95% de points communs », affirme-t-il. Pourtant, le candidat communiste estime qu’il y a bien des différences entre lui et les autres candidats de gauche. « Quand je défends le bifteck, je défends les salariés, je défends l’autonomie alimentaire. Jean-Luc Mélenchon, lui, mange du soja », lance-t-il.
Fabien Roussel a donné une véritable impulsion à sa campagne en faisant de la viande une arme politique. En janvier, il dit la phrase suivante : « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage, pour moi c’est la gastronomie française ». Les réactions ne se font pas attendre et cette sortie provoque un tollé. « Selon moi, il n’avait pas prévu ça, analyse Jean-Laurent Cassely. Ce n’était pas une petite phrase placée pour cliver mais il a vu que c’était un bon filon ». La viande, donc, pour nourrir les débats.
Une position difficile à digérer à gauche
Les critiques viennent alors de deux côtés. D’abord, des militants écologistes déplorent la glorification d’une alimentation carnée tant pour des considérations environnementales que de bien-être animal. Ensuite, une partie de la gauche plus « morale”, estime que cette manière de parler du steak est un appel du pied à l’extrême-droite, la viande étant devenu un marqueur identitaire. Ainsi, l’ancienne candidate à la primaire écologiste Sandrine Rousseau s’est empressée de répondre à Fabien Roussel que le couscous était « le plat préféré des Français ». Une manière de rappeler, selon elle, au candidat communiste que la gastronomie française est métissée et inclusive et, qu’au contraire, la viande du candidat communiste serait, elle, un peu chauvine.
Le rapport à la viande marque-t-il, ou du moins révèle-t-il, alors un clivage entre deux courants au sein de la gauche française ? D’un côté, une gauche qui entend afficher sa proximité avec les préférences majoritaires des classes populaires et moyennes ou avec les bouchers et les éleveurs. Lors du dernier salon de l’agriculture, Fabien Roussel a d’ailleurs été accueilli par le directeur qui lui a lancé un chaleureux « vous êtes chez vous » à son arrivée. De l’autre, cette partie de la gauche qui prend le risque de s’en éloigner au nom d’un intérêt supérieur – ici le bien-être animal, la santé et l’environnement.
« J’en ai marre de cette gauche qui vous culpabilise quand vous mangez de la viande, lance ainsi Fabien Roussel. Certains veulent tout interdire. Pas moi. Et je l’assume. Le peuple a le droit au bonheur ».
Une fracture « mise en scène » pour exister
Si rares sont les Français qui fondent leur vote sur le rapport au bifteck, ce débat sur la viande permettrait néanmoins de cliver les candidats entre ceux d’une gauche patriotique et proche des classes populaires et ceux d’une gauche écologique et progressiste. Toutefois, pour Thomas Vitiello, nous sommes loin d’un tel clivage structurel. «Le programme et l’électorat de Fabien Roussel sont très proches de ceux de la France insoumise ou même de ceux des Verts », explique-t-il. Par conséquent, le candidat communiste doit chercher à se distinguer de ses deux concurrents. Dans ses sorties sur la viande, « il y a une volonté d’exister médiatiquement, de se faire remarquer dans la campagne et éventuellement de créer une polémique sur un sujet X ou Y », analyse le politologue.
Ainsi, selon lui, il s’agit uniquement d’un « clivage de campagne » dans lequel un candidat qui a besoin de se différencier cherche à « grossir le trait sur les deux-trois points qui pourraient le distinguer ». En somme, nous sommes plutôt face à « une mise en scène d’une fracture » plutôt qu’un véritable clivage. Lorsque Fabien Roussel s’attaque à ses concurrents de gauche en demandant « on va manger quoi du tofu et du soja ? », c’est une manière de les disqualifier en leur reprochant de ne pas représenter le peuple, mais uniquement des classes bourgeoises de centre-ville.
La stratégie du steak
La viande illustre en fait la stratégie bien plus large du Parti communiste dans cette course à l’Elysée. Le candidat « des jours heureux » entend reconquérir une veine populaire et républicaine perdue par la gauche. « Si j’arrive à regagner le vote d’une partie de l’électorat ouvrier abstentionniste ou qui vote à l’extrême droite, j’aurai tout gagné », admet-il, confiant qu’il ne cherche pas à s’adresser aux électeurs des autres partis de gauche. Et preuve qu’il a réussi à imposer ce débat au menu de cette présidentielle, presque tous les candidats se positionnent sur le sujet, comme Valérie Pécresse en février qui affirme : « n’en déplaise à certains : un pavé charolais, arrosé d’un bon vin. Ça, c’est la France autour de la table ».
A cet égard, le communiste multiplie notamment la mobilisation de certains marqueurs souvent attribués à la droite comme la viande, mais également en prônant un discours modéré sur l’immigration, sur la police ou sur la chasse, une laïcité forte ou encore des positions pro-nucléaires. Fabien Roussel se dresse en fait contre tout ce qui est végétarien ou « woke ». Mais au communiste de répondre à ceux qui l’accusent d’être de droite : « ils n’ont pas bien lu mon programme ! ».
Salomé ROBLES
Image de tête : Salomé ROBLES