FRACTURES. D’après France Gall, ce sacré Charlemagne a inventé l’école. Le pauvre n’imaginait sûrement pas à quel point on s’écharperait à savoir quoi en faire. Valérie Pécresse veut y « rétablir l’ordre ». Jean-Luc Mélenchon, lui, entend assurer « la gratuité réelle de l’éducation publique », tandis qu’Éric Zemmour compte en chasser la « propagande antiraciste, féministe, LGBT et écologiste ». À chacun sa manière d’envisager le fonctionnement de l’un des plus anciens services publics, et le plus important quand il s’agit de fabriquer une identité nationale française.
Cet article fait partie de la série Fractures, disponible en suivant ce lien
Lancée par une IIIe République balbutiante, l’école publique est pensée pour un rôle : pas simplement celui d’enseigner la grammaire, les mathématiques ou la géographie aux enfants de France, mais aussi de faire d’un peuple à majorité royaliste, notamment les masses rurales, un peuple républicain.
Pour transformer tout cet ivraie en bon grain, les autorités se lancent dans ce que l’historien Maurice Agulhon appelle l’« acculturation » républicaine, pour, selon les bons mots d’Eugen Weber, arriver à changer les paysans de France en Français (« French peasants into Frenchmen »). Grâce à l’école, les républicains espèrent planter les bonnes graines dans l’esprit des jeunes, et en récolter les fruits une fois ces jeunes devenus citoyens.
L’éducation est le domaine réservé de l’Église ? Le 15 mars 1879, on adopte deux projets de loi pour garantir la laïcité de l’enseignement, sur l’initiative du ministre de l’Instruction Jules Ferry, et on dépense près de 450 millions de francs pour construire des écoles dans le pays. Le pari est de taille : faire nation autour de valeurs communes qui ne soient ni Dieu ni le roi, une première depuis neuf cents ans.
Pari de taille donc, mais pari réussi. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate presque 40 ans plus tard, les déserteurs et les mutins sont moins nombreux que lors des guerres napoléoniennes. Les Français, quelle que soit leur région d’origine ou leur bord politique, vont mourir ensemble dans les tranchées pour la République. C’est même cette adhésion partagée au modèle républicain qui en fait des Français.
De l’uniformisation scolaire à la fracture
Aujourd’hui, il apparaît que le curseur a été déplacé. Alors que durant 150 ans il suffisait d’embrasser le modèle républicain, on y a peu à peu ajouté des conditions propres à chacun. D’aucuns y voient une histoire de religion, certains de prénom et d’autres encore d’alimentation. Selon le candidat à la présidentielle qui en parle, il semble qu’un républicain ne peut être musulman, ou ne peut s’appeler N’Golo, ou se doit d’avoir comme met de prédilection « une bonne viande » et « une bonne bouteille de vin ».
Loin du modèle de l’école républicaine qui avait vocation à faire de tous des Français, plusieurs de ceux qui se réclament de la République œuvrent à en proposer le modèle le plus exclusif possible. Or, notre devise nationale et républicaine met notamment à l’honneur la fraternité : la fraternité par un idéal politique commun, pas par la symétrie avec l’autre. Alors que les lignes de fractures se multiplient dans la société française, l’école est l’enjeu majeur des élections. Elle déterminera comment nos enfants apprendront à être Français : à travers ce qui nous réunit, ou en fonction de ce qui nous divise.
Charles FANDRE
Images de tête : Wikimédia Commons