Militer à gauche dans le 16ème, Passy facile

SUR LES MARCHÉS. À l’heure du numérique, tracter sur les marchés peut paraître désuet. Retour sur une campagne à hauteur d’étals, à la rencontre des militants, des commerçants et des habitants.

À l’entrée du marché, Gérard tend ses tracts verts aux passants, tout sourire. « Bonjour ! L’écologie », répète-t-il, le dos légèrement courbé. Militant pour le candidat écologiste Yannick Jadot à l’élection présidentielle, Gérard et ses huit camarades se sont répartis de façon stratégique aux coins de la place centrale. Ce samedi ensoleillé de mars, une vague verte déferle sur la rue piétonne. Pourtant, seule une personne sur dix prend le dépliant de Gérard. Ceux qui ne baissent pas les yeux en le croisant le toisent avec mépris. Quelquefois, un regard compatissant. C’est qu’il faut être courageux pour s’aventurer là-bas. 

Là-bas ? Au marché de Passy, dans le nord du 16ème arrondissement de Paris. Dans ce quartier ultra bourgeois, à côté du Trocadéro, le vote majoritaire est bien plus bleu que vert. « Tenter de parler d’écologie dans le 16ème, c’est comme essayer de parler d’Islam au Vatican », soupire notre militant EELV. Un terrain traditionnellement hostile pour les partis de gauche et d’extrême gauche. Pourtant, Gérard et ses (rares) camarades de lutte ne se découragent pas. Peut-être pourraient-ils convaincre quelques indécis… 

À Passy, la candidate de droite Valérie Pécresse est chez elle. D’ailleurs, pas un maire d’une autre couleur n’y a été élu depuis 1989. Avant LR et ses ancêtres, le RPR puis l’UMP se sont succédé à la tête de l’extrême ouest parisien. Sans trop de surprise, en 2017, François Fillon avait obtenu 58 % des votes dans le 16ème. Emmanuel Macron, 26 %. Jean-Luc Mélenchon ? 5 %.

Les étals du primeur au marché de Passy (© Louise Huet / EDJ Sciences Po)

L’important, c’est de se montrer 

Pas de quoi rebuter certains militants de gauche. Même si beaucoup de passants leur font comprendre que l’initiative est vouée à l’échec, eux s’accrochent. Est-ce vraiment utile d’aller tracter sur une terre conquise par la droite ? « Est-ce que c’est important de tracter là où les gens votent déjà socialiste ? », rétorque Maxime, avec une pointe d’ironie. Coordonnateur de la section du 16e-8e, cet étudiant milite pour le PS depuis septembre 2020. « Il faut montrer qu’on a des idées, et qu’on est présent, même si on ne domine pas », souligne le jeune homme de 21 ans tout en tendant ses tracts à l’effigie d’Anne Hidalgo.   

Chez les Verts non plus, on ne se décourage pas. L’important, c’est de se montrer. Depuis le début de la campagne, Gérard, Odile, Didier et les autres, sentent bien que l’écologie a du mal à passer dans ce quartier. « J’aime bien savoir que je les embête », plaisante notre retraité. 

Les embêter ? C’est certain. « Ici, c’est une bulle d’entre-soi », lâche Benoît, coordinateur de la branche PS du 16e. Parka de marin sur les épaules, idéale pour naviguer au cœur de la tempête des idées libérales. Un « vaillant moussaillon », plaisante-t-il. Venu à bout d’une séance de tractage un peu laborieuse, ce notaire atteste du peu d’ouverture chez les habitants du nord de l’arrondissement. Ils refusent par exemple d’accueillir une station de tramway à leurs portes, comprise dans le projet initial du Grand Paris de la maire Anne Hidalgo. « Juste parce qu’ils ne veulent pas que les gens de banlieue viennent chez eux », se désole le militant socialiste.  

Benoît, coordinateur de la branche PS 16ème (© Louise Huet / EDJ Sciences Po)

Qu’à cela ne tienne. « Même s’ils jettent le tract en voyant le mot « écologie », au moins ils l’ont entendu, et ça je sais que ce n’est pas perdu », assure Gérard. Illustration quelques minutes plus tard devant la queue du boucher. Un trentenaire, allure « cadre dynamique », glisse au militant des Verts :

 « Je voterai pour Pécresse, mais ce qui m’embête c’est que vous avez sans doute raison. Un désastre écologique attend mes enfants. 

– Mais alors, qu’est-ce que vous allez faire ? 

– Et bien, je vais vendre ma maison à l’Île de Ré ! »

Chacun s’engage comme il peut…

Cette terre de droite, Maxime, Gérard et Benoît la connaissent bien. Ils y habitent. À presque 80 ans, Gérard est l’un des plus anciens de sa division EELV de l’arrondissement. Un vieux bourgeois aux idées marxistes. Comme quoi, il en reste. « J’ai très peu d’amis militants comme moi. Ils me soupçonnent d’être un révolté. Ils ont raison. », assume-t-il avec fierté.

Les militants de gauche, des ovnis sur le marché de Passy 

Ovnis chez eux, ovnis sur le marché. Et pour cause. « Dans le 16ème, on ne votera jamais autre chose qu’à droite », assure Agathe, panier en osier au coude. Pour cette mère de 36 ans, venir en plein 16ème militer pour les candidats de gauche, ou pire d’extrême-gauche, c’est peine perdue. « Les militants de Jean-Luc Mélenchon n’ont pas leur place ici », déclare-t-elle entre deux bouchées de baguette devant le stand du primeur.  « C’est une perte de temps, d’argent et d’énergie. Ils feraient mieux d’aller convaincre les abstentionnistes et les indécis. » D’ailleurs, la France Insoumise ne détient aucun groupe d’action ou de section dans l’arrondissement. «L’électorat est trop fidèle ici », conclut la trentenaire, soutien de Valérie Pécresse. 

D’autres sont quand même plus ouverts au dialogue. Marie-Christine connaît bien le marché de Passy. Doucement optimiste, cette septuagénaire s’offusque de savoir les partisans de la gauche parfois mal accueillis. « Tout le monde a le droit de proposer ses idées, même si on n’est pas d’accord ». Pourtant, elle-même ne déviera pas de sa propre intention de vote. À droite. « Le problème avec la gauche, c’est que même si on les écoute, on ne retiendra rien », concède la retraitée en réajustant son bonnet tricoté. « Ils nous parlent de sujets qui ne nous intéressent pas.»

Face à ce duel gauche-droite joué d’avance, un regard neutre : celui des commerçants. Les primeurs de la rue piétonne ne prennent jamais part aux débats devant leurs stands. Pour eux, c’est “business first”. Mais ils n’en restent pas moins politisés. Nouvel employé chez le primeur depuis deux semaines, Ali, 28 ans, vient de Seine-Saint-Denis, et vote à gauche. « La dernière fois, un homme a demandé à être servi par ma collègue. Je sais bien que c’est parce que je suis arabe. »

Une stratégie bien rodée

Mais à force de se prendre des vents, nos militants de gauche ont appris à manier les voiles. Car oui, pour naviguer en terre de droite, mieux vaut connaître quelques astuces. La première ? Le climat est souvent plus favorable le samedi. Car le dimanche matin, à la sortie de la messe, « on se fait insulter, confie Gérard. Le samedi, les gens sont plus calmes, plus détendus. » Pas très catholique tout ça. 

Deuxième tactique : accoster, discuter, amadouer. Puis, une fois le contact établi, et seulement à ce moment-là, révéler le tract. Un vrai numéro de prestidigitateur, dont Maxime, militant PS, dévoile le secret : « Moi, je cache la tête d’Hidalgo. Dès que les gens la voient, ils s’éloignent. » L’étudiant en politique publique préfère se concentrer sur « les idées ».

La rue piétonne au marché de Passy (© Louise Huet / EDJ Sciences Po)

Mais quelles idées ? Là aussi, il faut ruser. Pour réussir son tour, un magicien doit savoir détourner l’attention de son public. Pour nos militants, même stratégie. Face à Marie-Christine, 68 ans, notre jeune militant PS veut parler pouvoir d’achat. Sur le marché de Passy, pas question d’évoquer l’augmentation de 15 % du SMIC prévue par Anne Hidalgo ! Alors, pour séduire cette ancienne cadre, Maxime préfère vanter les mesures pour « la revalorisation du travail », une valeur chère à notre sexagénaire. Le tour est joué : Marie-Christine a pris le tract et promet d’y jeter un œil. 

Maxime n’a pas le temps de savourer sa victoire qu’une femme, suivie par un minuscule chien marron, glousse à son mari « Mais attends, elle se présente, elle ? ». Face aux nombreuses provocations, la diplomatie est de mise. On sourit poliment. On répond avec courtoisie.  

Éviter la confrontation, une règle qui s’applique également entre les groupes politiques. La place de Passy contraint les clients d’entrer et de sortir par une seule voie. Idéal pour tracter. Sauf que les militants se retrouvent tous les uns à côté des autres. Dans cet entonnoir, la cohabitation politique s’impose. 

Béret en feutre sur la tête, militant au PS, Komla l’assure : 

«    –     C’est cordial avec tout le monde. 

Même avec les militants d’Eric Zemmour ?

Ok, avec eux, c’est pas cordial du tout… »

Pour preuve, le week-end précédent, un militant Reconquête s’est donné en spectacle, déchiquetant les tracts du parti socialiste. « Mais à part ça, c’est cordial ».  

Ce samedi de mars, les six militants de l’équipe du PS acceptent de se faire prendre en photo avant de quitter le marché. Un passant lance « Ah bah ils sont au moins 6 ! ». « La voilà la gauche rassemblée ! », ironise un autre. Benoît et son équipe rigolent. Poliment. Résignés à l’idée qu’à gauche, la présidentielle ne se jouera pas à Passy. 

L’équipe PS, pose avant un tractage (© Léa Massiani / EDJ Sciences Po)

Résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2022 dans le 16ème arrondissement de Paris :  
Emmanuel Macron : 46,75 %
Éric Zemmour : 17,48 %
Valérie Pécresse : 13,81 %
Jean-Luc Mélenchon : 9,02 %
Marine Le Pen : 5,8 %
Yannick Jadot : 3,59 %

Louise Huet et Léa Massiani

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