EN CAMPAGNE. Les Seine-et-Marnais ont célébré une « campagne réussie » même si leur déception était palpable après le premier tour. Les militants ont désormais dans le viseur les élections législatives, prévues les 12 et 19 juin. Et la candidate proposée par le mouvement ne fait pas l’unanimité.
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Le ton de David et Jean-Marc est conquérant lorsqu’ils descendent de voiture. En ce lendemain de premier tour, lundi 11 avril, plus que jamais, il faut montrer que le combat continue. Plusieurs militants à la mine plutôt déconfite attendent déjà devant la porte de la salle. « Ça va ? », demande l’un d’eux. « Impeccable ! », s’exclame ainsi Jean-Marc, le doyen du groupe. « Moi je suis content », enchaîne même David, qui anime le groupe d’action, suscitant une certaine surprise chez ses camarades insoumis. Beaucoup sont déçus de voir Jean-Luc Mélenchon échouer une nouvelle fois aux portes du second tour. Le résultat est tombé comme un coup de massue sur la tête de Christophe, qui n’a pas trouvé la force de venir à la réunion ce soir. Une militante a tout de même ramené le champagne pour consoler les troupes présentes.
Dans le groupe, chacun oscille entre déception et fierté du score réalisé et de cette « campagne réussie », selon les mots de David. Pierre, le benjamin du groupe, entre dans la salle de réunion le poing levé. Timide à son arrivée dans le groupe d’action, il y a deux mois, il est aujourd’hui plus motivé que jamais. « Comme l’a dit Mélenchon, même si on doit remonter le rocher en haut de la colline, une, deux, trois, quatre fois : je suis prêt », lance-t-il en référence au mythe de Sisyphe.
46% à Montereau
Ce soir, l’heure est au bilan. Au niveau national, Jean-Luc Mélenchon obtient 22% des voix, soit 5 points de plus par rapport aux prévisions des derniers sondages. Mais ce sont surtout les scores locaux qui réjouissent les quelques militants. « On est en progression dans toutes les communes du département », se réjouit Jean-Marc. En Seine-et-Marne, Jean-Luc Mélenchon arrive en tête alors qu’il se classait quatrième en 2017. Leur plus grande victoire, c’est Montereau, où La France insoumise récolte 46% des suffrages, contre 31% en 2017. C’est dans cette ville, au sud de leur circonscription et où le chômage atteint 24%, que le groupe avait organisé un meeting de campagne. À l’époque, ils avaient été déçus d’y voir si peu de gens de Surville, le quartier populaire sur les hauteurs de la ville, où ils avaient pourtant tracté à deux reprises.

Les militants s’étaient alors interrogés : « On n’a pas pu louer la salle de Surville, descendre sur la ville basse le soir tard, alors qu’il n’y a plus de bus, c’est compliqué », avait commencé David. « Quand tu ne sais pas ce que tu vas donner à manger à tes gosses le soir, tu n’as pas le temps d’aller à une réunion », avait continué Jean-Marc. Le groupe s’était accordé pour continuer à militer plus intensément dans les quartiers populaires. Le résultat obtenu les rassure : « Les gens de Surville n’ont peut-être pas pu venir au meeting mais ils se sont mobilisés dans les urnes », affirme Monique, qui milite à Montereau.
Et ce score qui approche les 50% fait monter en eux un espoir fou : et si finalement, cette circonscription acquise à la droite depuis trente ans pouvait basculer pour La France insoumise ? David, comme à son habitude, mesure son enthousiasme. Le résultat est certes élevé sur Montereau, mais dans les petites communes plus rurales, dans cette circonscription comme dans le reste de la France, c’est toujours le Rassemblement national qui est en tête.
Ça n’empêche pas les militants du groupe de rêver. Un seul problème, leur candidate pour les élections législatives ne les convainc pas. Francine appartient au parti Révolution écologique pour le vivant (REV), allié à Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle. Dans le cadre de cet accord, un certain nombre de circonscriptions sont réservées à ce petit parti écologiste.
Erreur de casting
Les militants de Morêt-sur-Loing dénoncent une « erreur de casting ». Ils s’en sont rendus compte pendant leur meeting à Montereau, organisé autour du thème des services publics. Les différents orateurs ont pointé le manque de médecins dans le département, qui fragilise les plus précaires, la fermeture des guichets, des bureaux de Poste et des petites lignes de train, ou encore le sort des salariés. Pour finir, la candidate aux législatives a pris la parole. Sans un mot sur le social, sur l’emploi ou sur les services publics, elle a « antispécisme » et « régime végétalien » devant un public plutôt circonspect.
Le mercredi suivant, Francine s’est rendue à la réunion bimensuelle des Insoumis de Saint-Mammès. Assise les bras et les jambes croisés, elle écoute distraitement Jean-Marc faire son exposé sur la détérioration des services publics dans le département. Brutalement, Francine prend la parole : « Et sinon, vous n’avez pas trop de problèmes à vous promener à la campagne avec tous les chasseurs ? ». David souffle : « Ça, c’est le point trois, on en reparlera au point trois ». La candidate découvre les règles du groupe d’action. Il faut respecter l’ordre du jour et parler uniquement quand c’est son tour – en faisant au préalable un signe à Monique qui distribue les tours de parole.

La réunion s’éternise et les débats sur des problèmes de politique locale prennent plus de temps que prévu. Francine finit par s’impatienter : « Moi, je ne connais pas bien la région », admet-elle d’emblée. « Je viens d’Essonne mais, depuis que je suis militante environnementale, j’ai appris à avoir une vision globale », lance-t-elle avant d’en venir au sujet qui l’intéresse, la protection du vivant. « Si Mélenchon passe, il va y avoir un gros chantier. L’agriculture va être végétalisée, on va fermer les élevages intensifs. Il faut donc repenser votre région en fonction de ces éléments-là. »
Elle déroule le programme de Jean-Luc Mélenchon pour le vivant, fruit de sa collaboration avec Aymeric Caron, l’ancien journaliste et fondateur de REV, en lisant certains extraits sur son téléphone. Elle parle déjà depuis une quinzaine de minutes et les militants commencent à trouver le temps long. Jean-Marc la fixe en croisant les bras.
Monique finit par mettre fin à la prise de parole de la candidate : « C’est gentil de nous dire ça mais on le sait, on l’a tous bossé le programme ». David tente de la mettre en garde sur la réalité du territoire. Avec un discours aussi radical sur la chasse ou la consommation de viande, il ne sera pas évident de gagner la circonscription : « Même si Mélenchon gagne la présidentielle, sur notre circo, ce n’est pas acquis qu’on gagne les législatives, vu le passé politique du département [ancré à droite] et l’ancrage de la FNSEA [le principal syndicat agricole en France] ».
Jean-Marc et Lorian, un nouveau militant arrivé dans le groupe il y a une semaine, confirment. « Il y a une urgence sociale qui s’impose dans cette ruralité », tonne le doyen du groupe. « Les gens qui souffrent ne peuvent pas s’engager vers des sujets écologiques qui leur paraissent secondaires face à l’urgence sociale », explique également Lorian.

Une campagne pleine de rebondissements
Impossible pour les militants du groupe de défendre une candidate qui place la protection des animaux avant les questions socio-économiques. Au vu des résultats du candidat insoumis dans leur circonscription, et surtout à Montereau, ils ont une autre idée : changer de candidate. Ils comptent peser de tout leur poids, à coup de lettres recommandées et d’interpellations des responsables, afin d’être entendus par le national. Une difficulté de plus pour le groupe d’action de Saint-Mammès, pour qui la campagne n’aura pas été de tout repos. La réunion publique annulée, les querelles internes et enfin, la candidate parachutée, avaient fini par venir à bout de la patience de David, décidé à arrêter d’animer le groupe. (NB : Épisode 2).
Regonflé par les résultats des présidentielles – « Je suis très content qu’on soit arrivé en troisième position, qu’on soit la seule force crédible à gauche » -, il envisage de revenir sur sa décision et de continuer à animer le groupe. Angélique a accepté de devenir co-animatrice pour le soulager : « Ce qui me gonflait, c’était de gérer la partie organisation tout seul. Si on est deux, ça simplifie grandement le travail ». Pierre aussi est plus motivé que jamais. Lui qui, en février, n’était pas sûr de rester après la présidentielle, a envie de s’engager davantage. « Il se passe quelque chose, Mélenchon a peut-être sauvé une dernière idée de la gauche », se réjouit-il, sans cacher sa fierté d’avoir participé à ce projet. En septembre, c’est sûr : il sera encore là.
Marine CARDOT & Sarah DUMEAU