C’est une des vingt propositions du candidat communiste Fabien Roussel sur le climat : « L’augmentation de la part modale du fret ferroviaire à 30 % du transport de marchandise (4 milliards) ». Aujourd’hui, le rail ne représente qu’un peu plus de 9 % du transport de marchandises en France. Cette mesure vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre, le train, quand il est électrique, étant peu émetteur de CO2.
Une proposition difficilement réalisable
Alors est-il possible de faire passer la part du rail à 30 % comme le propose Fabien Roussel ? Cette proposition semble très ambitieuse et pour la réaliser il faudrait que les changements aillent bien au-delà du secteur ferroviaire, avec une réorganisation en profondeur d’aménagement du territoire.
En effet, pour être compétitif par rapport à la voiture, le train doit transporter de grandes quantités de marchandises. « Il faut donc regrouper les entreprises autour de gares ferroviaires. Cet aménagement est essentiel car si le train circule avec peu de wagons, il ne sera pas rentable » détaille l’économiste des transports Patrick Niérat, qui estime qu’il est théoriquement possible d’augmenter la part du fret ferroviaire, « plutôt de l’ordre de 20 % », mais que cela prendrait au moins une vingtaine d’années. De son côté Fabien Roussel ne donne pas de calendrier dans son programme et n’a pas répondu à nos sollicitations.
Cette concentration de l’activité économique est la solution la plus intéressante au niveau du transport, mais elle peut aussi poser d’autres problèmes. Des zones périphériques perdraient par exemple des emplois au profit des villes disposant de gares.
Des objectifs d’augmentation du fret déjà fixés par le gouvernement
La proposition de Fabien Roussel s’inscrit dans la lignée d’une volonté déjà affichée par le gouvernement en place : en septembre 2021, un pacte a été signé entre l’état, SNCF Réseau et l’Alliance 4F, coalition qui regroupe les principales entreprises du secteur de fret ferroviaire, avec pour objectif de doubler la part du train d’ici 2030, et d’atteindre même 25% du transport de marchandise par rail à horizon 2050.
L’objectif est donc un peu moins ambitieux que celui du candidat communiste et les moyens mis sur la table sont aussi moins importants : le gouvernement promet un programme global d’investissement d’un montant de 1,35 milliards d’euros.
Seulement quatre mois après sa signature, le projet du gouvernement semble déjà en difficulté. Un porte-parole de l’Alliance 4F a indiqué au média Contexte déplorer une « inertie » et une difficulté à passer des annonces à la réalisation. Il liste notamment des frictions avec SNCF réseau dans l’attribution des sillons, un calendrier des investissements qui a été décalé et des sommes jugées insuffisantes pour l’entretien des lignes.
Le fret ferroviaire en net baisse depuis plusieurs décennies
Si l’augmentation de la part du train dans le transport de marchandises peut être difficile aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il faut inverser une tendance qui est à la baisse depuis plusieurs décennies. En 1984, le rail représentait 26,6 % du fret et il a baissé à un peu moins de 10 % à la fin des années 2000. Depuis 10 ans, cette part s’est globalement stabilisée. Et c’est bien la route qui en a profité, passant de moins de 58 % des marchandises transportées à plus de 85 % en 35 ans.

Alors comment expliquer cette baisse ? « Il y a eu une évolution économique de la France qui n’est pas favorable au ferroviaire : la désindustrialisation a entraîné une baisse du nombre de produits lourds et de grandes quantités, qui se prêtent particulièrement bien au transport par train. À l’inverse, il y a eu une poussée du e-commerce, avec des livraisons de petites tailles à domicile moins favorables au train » avance Patrick Niérat.
Il pointe aussi d’autres raisons comme la dégradation du service dû à la vétusté du réseau, la priorité donnée aux voyageurs ou encore un aménagement du territoire qui n’a pas été pensé en fonction du train. Laetitia Dablanc, urbaniste et directrice de recherche à l’université Gustave Eiffel, ajoute également le problème de la lourdeur des réglementations. Pour toutes ces raisons, le ferroviaire souffre donc d’un manque de compétitivité par rapport à la route.
La France nettement en dessous de la moyenne européenne
Pourtant chez certains de nos voisins européens, le rail représente une part bien plus importante du transport de marchandise que les 9 % français. En Allemagne, ce chiffre est de presque 19 %, et il atteint même plus de 30 % dans des pays comme la Suède ou l’Autriche. La moyenne de l’Union européenne est elle d’un peu plus de 17 %.

La comparaison avec nos voisins européens semble donc montrer que la France a une marge de progression, ce qui pourrait donner du crédit à la proposition de Fabien Roussel. Mais Patrick Niérat incite cependant à la prudence en prenant l’exemple de l’Allemagne « Il y a trois raisons profondes pour expliquer la part plus importante du fret ferroviaire en Allemagne : historiquement c’est un pays décentralisé, avec des échanges entre chaque Lander qui sont importants, géographiquement c’est un point de passage au milieu de l’Europe et économiquement c’est un pays encore très industrialisé. Donc ce ne sont pas des différences que l’on peut changer à court terme. »
Le transport, un enjeux majeur pour baisser les émissions de gaz à effet de serre
Le candidat communiste a en revanche raison de s’attaquer à la question des transports s’il veut lutter contre le réchauffement climatique. En France, il s’agit du secteur le plus émetteur en gaz à effet de serre, représentant à lui seul un peu plus de 30 % des émissions, dont ⅓ imputable au transport de marchandise selon Laetitia Dablanc. De plus, le secteur peine à se décarboner, puisque les émissions y sont en hausse de 9 % depuis 1990, alors que les autres secteurs affichent eux une baisse moyenne de 28 %.
La moindre émission en CO2 du train, majoritairement électrique, ne fait pas question : il représente à peine 0,5 % des émissions liées au transport. Mais Patrick Niérat précise tout de même que « les premiers et derniers kilomètres du train, c’est-à-dire les petits trajets pour rallier la grande gare, sont souvent au diesel, ce qui peut détériorer le bilan carbone ». Le ministère des transports admet en effet que le fret ferroviaire réalise encore 25 % de ses parcours avec des trains diesels.
Noé BAUDUIN