Travailler plus ou travailler moins : l’analyse des sociologues

FRACTURES. À l’approche de l’élection présidentielle, la question du travail est ramenée au centre du débat public, marquée par la confrontation entre deux camps : « travailler plus pour gagner plus » à droite et « travailler moins pour mieux vivre » à gauche.

Cet article fait partie de la série Fractures, disponible en suivant ce lien

Le vieux slogan de la campagne de Nicolas Sarkozy est de retour. La candidate à la présidentielle Valérie Pécresse a proposé de convertir la réduction du temps de travail (RTT) en monnaie sonnante et trébuchante sans limite et sans charge patronale. Une mesure assez reprise à la droite de l’échiquier politique français. A contrario, la gauche défend encore la réduction du temps de travail, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, qui souhaite anticiper la retraite à 60 ans. 

Le temps de travail est un vrai sujet de clivage entre la gauche et la droite qui ne cesse de façonner la politique française, et ce depuis longtemps. « C’est un vieux sujet, qui ne sort jamais du débat public, parce que les Français ont un lien très particulier avec le travail » explique Danièle Linhart, spécialiste notamment de l’évolution du travail et de l’emploi. Ce rapport particulier est formé tant par des éléments historiques que sociologiques.

Une particularité française

Commençons par les raisons historiques. « Pendant les 30 glorieuses, il y avait une présence très forte des syndicats et des idées de lutte de classes, incarnée notamment par le Parti socialiste français. » analyse la sociologue. Pour les deux fondateurs du socialisme scientifique, Marx et Engels, l’ultime objectif du communisme est de construire une société d’abondance, et cela passe par le travail. Autrement dit, seul le travail peut concrétiser leur utopie. Et dans cette société imaginée, le but de chacun n’est plus de vivre, mais de s’épanouir. La réduction du temps de travail en est une des conséquences fondamentales. C’est aussi une doctrine portée par l’influent Parti communiste français dans les années après-guerre, profitant de son rôle crucial dans la Résistance.

D’un point de vue sociologique, la chercheuse explique que par rapport aux pays anglo-saxons où le travail n’est qu’un « élément contractuel », le travail s’est vu en France accorder des « éléments d’honneur ». « Pour les Français, le travail donne accès à une socialisation de qualité, leur permet de prendre pied de manière citoyenne dans la société, leur confère des droits, et leur donne une sorte de valeur symbolique et économique », affirme la directrice de recherches au CNRS. Et c’est pour des raisons économiques, comme le travail génère de la valeur, que la droite, fidèle au principe productiviste, le défend.

Deux slogans, deux modèles sociaux

Mais, au fond, les débats sur la durée de travail sont le prolongement d’un autre débat : comment peut-on définir le bonheur. « Si Sarkozy avait son slogan, c’est parce qu’il souhaitait permettre à ceux qui voulaient travailler plus de gagner plus d’argent. Pour lui, le but de certains c’est de gagner autant d’argent que possible. » explique Céline Marty, agrégée de philosophie et enseignante à SciencesPo. Dans cette logique, seule la rémunération peut apporter du bonheur. « Cette logique considère que le travail l’emporte sur toute autre activité dans la vie » estime l’auteure du livre Travailler moins pour vivre mieux : guide pour une philosophie anti productiviste.

A gauche, au contraire, on pense que le travail ne dispose pas de cette primauté. Et les autres activités comme la politique ou la culture doivent aussi avoir leur place dans la vie de chacun. « Les salariés doivent avoir la possibilité de ne pas être soumis à un travail trop intensif, et de ne pas mener une vie conditionnée uniquement par le travail » commente Mme. Linhart, qui rappelle aussi que toutes les réductions du temps de travail sont menées par la gauche, qui prône l’égalité.

Débat partiel

La réduction du temps de travail n’est cependant pas une question purement sociologique ou individuelle. La chercheuse au CNRS rappelle notamment le contexte commun d’une telle réforme : le chômage. « Il ne faut jamais oublier que quand on réduit le temps de travail, c’était toujours avec une crise de chômage en toile de fond. Et on espérait créer plus d’emplois avec une telle réforme. » En 1936, pour contrer les ondes de choc de la Grande Dépression, le gouvernement du Front Populaire avait inauguré la semaine de 40 heures. Le système actuel de 35 heures s’établit aussi avec cette logique de partage du travail, dans la mesure où la loi a créé 220 000 emplois supplémentaires en moins d’un an après son entrée en vigueur.

Aujourd’hui, le contexte a changé. Les candidats mettent en avant soit le pouvoir d’achat pour argument, comme Valérie Pécresse, soit la question de modèle social comme prétexte, à l’image du président sortant Emmanuel Macron.

« Il est dommage qu’on ne parle jamais de la réorganisation du travail, commente Mme. Linhart, l’amélioration du bien-être de chacun ne passe pas obligatoirement par une augmentation de la rémunération. C’est déplorable que toute discussion sur le travail se réduise en prime ». Durant des années, les syndicats se sont affairés à obtenir de nouvelles primes afin de contrebalancer les conditions dégradées du travail, alors que l’organisation du travail n’est guère sur la table des discussions. Il en résulte que cette logique mercantile s’implante dans l’esprit.

Autre défaut de la proposition de la droite : l’égalité. « À l’heure actuelle, si la droite répète son slogan pour fidéliser son électorat, ‘travailler plus pour gagner plus’ cela ne suffit pas à résoudre la précarité ni à garantir la sécurité sociale » déplore Mme Marty.

Sous prétexte du pouvoir d’achat, la droite cherche toujours à assouplir les contraintes administratives et législatives pour redynamiser le marché du travail et intensifier le travail, afin de permettre à tout le monde de gagner plus d’argent. Mais un salarié au SMIC et un entrepreneur ne gagnent pas le même montant avec le même nombre d’heures supplémentaires. Au lieu d’être une garantie pour les ménages modestes, une telle proposition est de ce fait un multiplicateur des ressources de la haute société. « Sans réforme radicale du système de distribution de la richesse, ce slogan ne fait que creuser l’inégalité » résume la chercheuse.

Yutao ZHANG

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